Il est parfois de la poésie comme de la musique.
On peut se réveiller avec un air qui ne vous quitte pas de la journée. Vous le chassez et il ne cesse de revenir. On appelle ce phénomène un "ver d'oreille". Les psychologues disent que ce n'est pas un air anodin. Venant de l'inconscient il veut dire quelque chose. Sans doute. Il en est de même de la poésie. Il y en a une qui ne cesse de me hanter depuis quelques temps déjà. Elle vient et revient, régulièrement. Il s'agit d'une poésie de Victor Hugo. Une poésie que j'avais apprise, j'étais, je crois en classe de troisième, ou peut-être de quatrième, il y a de cela plus de cinquante ans. Je me souviens surtout des derniers vers :
Faites honte au peuple qui tremble,
Aveuglez l'immonde trompeur,
Acharnez-vous sur lui, farouches,
Et qu'il soit chassé par les mouches
Puisque les hommes en ont peur !
On aura révidemment reconnu Le Manteau Impérial extrait des Châtiments (1853). Donnons-le dans son entier pour en bien saisir le sens.
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Oh ! vous dont le travail est
joie,
Victor Hugo s'est, en effet, opposé au pouvoir personnel de Louis-Napoléon Bonaparte élu à la présidence de la IIe République, en 1848. Il écrit ce poème au moment même où celui-ci se fait sacrer empereur sous le nom de Napoléon III. Le manteau du sacre était, on l'a compris, décoré d'abeilles.
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« Maudit ! nous sommes les abeilles ! |
Victor hugo !
Immédiatement m'est revenu à la mémoire un de ses ouvrages célèbres consacré à Napoléon : Napoléon le Petit. Sa lecture en est édifiante.
Quelques extraits suffiront pour s'en convaincre.
A la chute de la monarchie de Juillet, Louis-Napoléon Bonaparte est appelé à la présidence de la République. Selon la constitution, le président doit prêter serment.
La constitution à laquelle Louis-Napoléon Bionaparte prêta serment le 20 décembre 1848 contenait des articles précis comme : les représentants du peuple sont invilables; ils ne peuventn être arrêté en matière criminelle, ni poursuivis qu'après avis de l'assemblée; toute mesure par laquelle le président de la république dissout l'assemblée nationale, la proroge, ou met obstacle à l'exercice de son mandat, est un crime de haute trahison... Par ce seul fait, le président est déchu de ses fonctions, les citoyens sont tenus de lui refuser obéissance...
Moins de trois ans après, le 2 décembre 1851, au lever du jour, ces mêmes citoyens purent lire :
"Au nom du peuple français
Le Président de la République
décrète :
art 1 : L'assemblée nationale est dissoute
art 2 : Le suffrage universel est établi. La loi du 31 mai est abrogée.
art 3 : Le peuple français est convoqué dans ses comices.
art 4 : L'état de siège est décrété dans toute l'étendue de la première division militaire.
art 5 : Le conseil d'état est dissous.
art 6 : Le ministre de l'intérieur est chargé de l'exécution du présent décret.
Fait au palais de l'Elysée le 2 décembre 1851
Et c'est signé : Louis-Napoléon Bonaparte.
En même temps, Paris apprenait que quinze représentants du peuple, inviolables selon la constitution, avaient été arrêtés chez eux, dans la nuit, par ordre de Louis-Napoléon Bonaparte.
"Il est temps, écrit Victor Hugo, que la conscience humaine se réveille".
Et, précisément, c'est pour réveiller les consciences humaines que cet ouvrage a été publié. En janvier 1852, Louis-Napoléon Bonaparte qui ne va pas tarder à devenir l'empereur Napoléon III, signe le décret d'expulsion de Victor Hugo, lequel s'est violemment opposé au coup d'état du 2 décembre 1851. Réfugié à Bruxelles, Victor Hugo lui répond en août 1852 par un texte de combat, l'un des plus brillants pamphlets politiques jamais écrits contre un despote. "Napoléon le Petit" n'était plus disponible en France depuis maintenant une quarantaine d'années. Jean-Marc Hovasse a eut l'excellente idée de publier, en 2007, chez Actes-Sud, une nouvelle édition critique de ce magnifique cri de colère et d'indignation.